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PLF 2025 : des nouvelles recettes en trompe-l’oeil

Publié le 16 octobre 2024 - Lecture 8 mn

Le gouvernement de Michel Barnier soutenu par le RN a présenté ce jeudi 10 octobre son projet de loi de finances pour l’année 2025. Il insiste sur la hausse des impôts pour les plus riches et pour les grandes entreprises. Qu’en est-il réellement ? Tout d’abord, l’ensemble des hausses représentent 19,3 milliards d’euros (soit 30% de « l’effort »de 60 milliards annoncé par le gouvernement pour 2025). Certaines de ces recettes nouvelles seront payées par tout le monde (notamment la hausse des accises sur l’énergie pour 3 milliards d’euros). Et puis cette hausse est sans commune mesure avec les baisses accumulées depuis 2017, le manque à gagner annuel s’élevant à 62 milliards d’euros, selon la Cour des comptes.
Mais à y regarder d’encore plus près, ce sont de véritables mesures cosmétiques servant d’écran de fumée pour cacher de nouvelles décisions austéritaires pour la vie des travailleurs et travailleuses. Détails des mesures..

POUR LES ENTREPRISES

Contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises
Une contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises est instituée temporairement. Elle ciblera les quelque 400 entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires atteignant ou dépassant 1 Md€ et qui sont redevables de l’impôt sur les sociétés. Cette nouvelle contribution devrait rapporter 12 Md€ (8 en 2025 et 4 en 2026)

Cette majoration temporaire du taux d’Impôt sur les sociétés sur deux années est loin de compenser les précédentes baisses pérennes : la réduction du taux de l’impôt sur les sociétés de 33 à 25 % est estimée à un manque à gagner de 16 milliards d’euros par an.
Il est urgent de revoir l’impôt sur les sociétés en incitant les entreprises à investir dans la création d’emplois, la formation professionnelle, les augmentations de salaires, la transition écologique ou encore la recherche, plutôt que d’encourager la distribution de dividendes.

Taxe exceptionnelle due par les entreprises du fret maritime
Les grandes entreprises de fret maritime seront soumises à une taxe exceptionnelle. 800 millions d’euros de recettes fiscales sont attendues d’ici 2026.

Cependant, leur niche fiscale, la « taxe au tonnage », est épargnée. Les entreprises de fret maritime peuvent choisir de ne pas être taxées sur leurs bénéfices, mais sur le tonnage qu’elles transportent. Au lieu de payer l’impôt sur les sociétés à 25 %, elles peuvent s’acquitter d’une taxe de 24 centimes d’euros par tonne de marchandise convoyée.
Le manque à gagner pour l’Etat est estimé à 3,81 milliards d’euros en 2022.

Suspension de la baisse de la CVAE
La suppression totale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui devait être achevée en 2027, est reportée à 2030.

Même si cette mesure est décalée, elle sera maintenue à terme. Les impôts locaux des entreprises ont déjà été largement réduits, via une série de mesures touchant la contribution économique territoriale (CET), qui est composée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la cotisation foncière des entreprises (CFE). Le manque à gagner pour les finances publiques est estimée à 11,8 milliards d’euros par an.
Ce sont surtout des grandes entreprises qui ont donc profité de ces allègements fiscaux, dont elles n’avaient pas forcément besoin. La suppression de plusieurs impôts locaux, telles la taxe d’habitation et une partie de la CVAE, a entraîné une réduction de 53 milliards d’euros des recettes pour les collectivités locales, partiellement compensées par l’État mais de manière très insuffisante.

Fiscalisation des rachats d’actions
Une taxe sur les rachats d’actions suivis d’une annulation sera par ailleurs mise en place pour les entreprises ayant un recours croissant à cette pratique et qui leur permet de distribuer une partie de leur excès de trésorerie à leurs actionnaires. Elle concernera les plus grandes entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 1 Md€, pour toutes les opérations de rachat d’actions menées à partir du 10 octobre 2024.

La pratique de rachats d’actions consiste pour une entreprise à utiliser ses bénéfices, voire à s’endetter, pour racheter ses propres titres et les détruire. Cela se fait donc au détriment de l’investissement et d’une plus juste rémunération des salariés. Une taxe de 1% (qui pourrait être augmentée à 4%) a déjà été mise en place aux Etats-unis.
Le dispositif prévu par le gouvernement Barnier ne rapportera que 200 millions d’euros par an. Pour cause, son taux de 8 % aura pour base la valeur nominale de l’action fixée au moment de l’entrée en Bourse de la société plutôt que sa valeur réelle au moment du rachat, qui est en général bien plus élevée. C’est cette seconde option qui a été choisie par les Etats-Unis et qui permettrait une recette annuelle en France d’un milliard d’euros.

POUR LES PARTICULIERS

Contribution différentielle temporaire sur les très hauts revenus
Les ménages les plus aisés seront redevables d’une contribution différentielle sur les plus hauts revenus. Cette contribution visera les personnes les plus riches (revenu fiscal annuel dépassant 250 000 € pour un célibataire et 500 000 € pour un couple), dont le taux d’imposition est en-dessous de 20%. Un peu plus de 24 000 foyers pourraient être concernés d’après les évaluations du ministère du budget. Ce dispositif s’appliquera durant trois ans et pourrait rapporter 2 milliards d’euros (Md€) en 2025.

En affichage, le gouvernement souhaite combler une partie du déficit en mettant à contribution ceux qui ont à la fois des revenus très élevés et, grâce à l’optimisation fiscale, des taux d’imposition faibles. Une bonne idée mais le dispositif est clairement insuffisant : tout d’abord, parce qu’il aurait été judicieux de remettre en cause le prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus et gains du capital perçus par les personnes physiques. En effet, ces revenus du capital constituent une grande partie des rémunérations des ménages les plus aisés et le taux proportionnel contribue à baisser le taux d’imposition.
Ensuite, la proposition du gouvernement ne lutte pas contre l’optimisation des plus riches, car elle ne s’attaque pas aux mécanismes qui réduisent le revenu taxable, notamment le recours aux sociétés holding, qui permettent de toucher des milliards de dividendes sans avoir à les inclure dans le revenu taxable.
Par ailleurs, l’estimation du gouvernement est faible (2 milliards) et sans doute trop optimiste au vu des dispositifs de plafonnement de niches fiscales déjà existant.
Enfin, il est urgent d’accroître la progressivité de l’impôt sur le revenu (en augmentant le nombre de de tranches, et les taux pour les plus hauts revenus) pour lui redonner une place centrale dans les recettes de l’État

FISCALITE ECOLOGIQUE

Renforcement du malus automobile sur les véhicules polluants et de la taxe sur les billets d’avion.
Le malus CO2 sera abaissé de 5g/CO2/km en 2025 puis de 7g/CO2/km en 2026 et 2027. Pour cibler les véhicules les plus émetteurs, son tarif maximum sera parallèlement augmenté de 10 000 euros par an jusqu’en 2027. Le seuil de déclenchement de la taxe malus masse sera également abaissé, dès 2026, de 1 600 kg à 1 500 kg. En outre, dès 2025, le bénéfice de l’abattement dont profitent aujourd’hui tous les véhicules hybrides non-rechargeables sera limité aux seuls véhicules performants sur le plan environnemental. Ces mesures, qui visent aussi les véhicules des entreprises, devraient rapporter 300 millions d’euros de recettes fiscales à partir de 2026.

Le relèvement de la taxe de solidarité sur les billets d’avion ferait passer son rendement de 0,5 à 1,5 milliard d’euros et rapprocherait la France de ses voisins allemand et britannique.

D’une manière générale, il convient de renforcer et élargir la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) en conditionnant rigoureusement les réductions ou exonérations à l’adaptation de l’outil industriel. La TGAP vise à inciter les industriels à modifier leur processus de production. Elle a déjà montré son efficacité par le passé. Elle doit prendre une place centrale dans la fiscalité écologique incitative en lieu et place des taxes à la consommation qui frappent les consommateur·ices captif·ves des processus de production qu’elles et ils ne maîtrisent pas

SUPPRESSIONS DE NICHES FISCALES

Suppression de niche à l’IR sur les loueurs meublés
Les contribuables relevant du régime de la location meublée non professionnelle (LMNP) peuvent déduire, sous certaines conditions, de leurs revenus locatifs imposables les amortissements liés à leur logement. Actuellement, ces amortissements ne sont pas pris en compte dans le calcul de la plus-value, en cas de revente. Cette niche fiscale, qui concourt à renforcer les investissements dans la location de courte durée type AirBnB et à accroître les tensions sur le marché locatif, est supprimée. A partir du 1er janvier 2025, les amortissements admis en déduction pour le calcul du revenu imposable seront, en cas de revente, réintégrés dans l’assiette de la plus-value imposable. Cette mesure doit rapporter 200 millions d’euros.

La France compte 467 « niches fiscales » pour un coût évalué à 81,3 milliards en 2023.
Celles-ci doivent être conditionnées à leur efficacité économique et contrôlées.
Par exemple, le Crédit d’impôt recherche coûte 7 milliards d’euros par an. 28 groupes bénéficient d’un tiers des créances. 5 % des bénéficiaires sont contrôlés chaque année. Les études ont montré son inefficacité pour les grandes entreprises : elles l’utilisent pour diminuer leur impôt sur les sociétés sans que cela n’influe sur la politique en matière de recherche et développement.

RIEN SUR LA TAXATION DES PATRIMOINES

En revanche, le gouvernement Barnier a fait l’impasse complète d’une révision de la taxation des patrimoines : pas de remise en place de l’impôt sur la fortune, pas de réformes des successions et donations...
Pourtant, les inégalités s’accroissent à une vitesse folle, entre les milliardaires et le reste de la population. En France,les quatre milliardaires français les plus riches et leurs familles – la famille Arnault, la famille Bettencourt Meyers, Gérard et Alain Wertheimer – ont vu leur fortune augmenter de 87 % depuis 2020. Dans le même temps, la richesse cumulée de 90% des Français a baissé.
Sur cette même période, les 42 milliardaires français ont gagné 230 milliards d’euros, autant que pour faire un chèque de 3 400 euros pour chaque Français-e.
Les 1 % les plus riches détiennent 36 % du patrimoine financier total en France alors que plus de 80% des Français ne déclarent posséder ni assurance-vie, ni actions directement.
Il est donc urgent de réintroduire un impôt sur la fortune progressif à l’assiette élargie et de réformer le système de taxation des successions/donations pour le rendre plus progressif, transparent en supprimant les niches fiscales (assurance-vie, Pacte Dutreil...) afin de réduire les inégalités, limiter l’accumulation de patrimoine improductif et de redistribuer les richesses.

Ce projet de loi de Finances s’inscrit dans les pas des budgets présentés par Bruno Le Maire and co. La ligne de conduite est de restreindre les dépenses notamment dans l’éducation, le travail et l’emploi, aux Finances, dans l’aide publique au développement, l’écologie.
Les faibles hausses d’impôts pour les plus riches et les grandes entreprises sont des leurres pour poursuivre une politique de l’offre, au détriment des plus pauvres et des services publics.